Le scrutin, tenu sous occupation étrangère, a suscité une très forte
mobilisation de la population palestinienne. Plus des trois-quarts des
électeurs se sont rendus dans les bureaux de vote. C’est
incontestablement une victoire pour la démocratie et la preuve que les
Palestiniens y sont attachés. Et les quelque 900 observateurs
internationaux ont témoigné de la régularité du scrutin.
Les électeurs ont exprimé leur rejet de la politique suivie par
l’Autorité palestinienne et le Fatah sur au moins deux niveaux.
D’abord
une condamnation de leur incapacité à créer des institutions solides, à
éradiquer la corruption, à améliorer la vie quotidienne.
Tout le monde
en Palestine est conscient des contraintes permanentes d’une occupation
qui se poursuit depuis bientôt quarante ans, mais, même en tenant compte
de ces conditions, le bilan de l’Autorité apparaît négatif.
Il l’est
aussi dans le domaine des négociations avec Israël depuis les accords
d’Oslo de 1993. Tout le pari de M. Mahmoud Abbas, élu président de
l’Autorité en janvier 2005, était qu’une position « modérée » de sa part
relancerait le « processus de paix » ; il n’en a rien été.
M. Ariel
Sharon, qui avait longtemps affirmé que Yasser Arafat était l’obstacle à
la paix, n’a rien offert à son nouvel interlocuteur : le retrait
unilatéral de Gaza s’est accompagné - c’était tout le but de la
manoeuvre - de l’accélération de la colonisation et de la construction
du mur de l’apartheid - malgré la condamnation du Tribunal international
de La Haye. Les barrages et contrôles continuent à rendre impossible la
vie quotidienne des Palestiniens, le nombre de prisonniers politiques
s’élève à plusieurs milliers, etc.
Il est donc assez étrange d’entendre les dirigeants américains,
européens et français s’interroger doctement sur la « poursuite du
processus de paix ». Ce processus n’existait pas avant les élections -
il avait en fait cessé avec l’élection de M. Sharon.
Une autre réflexion mérite d’être faite. Les électeurs ont voté pour le
Hamas non pas parce qu’ils adhéreraient à son programme « historique »
d’élimination de l’Etat d’Israël, non parce qu’ils souhaiteraient une
relance des attentats-kamikazes (les récentes enquêtes d’opinion
montrent au contraire une volonté de paix et de négociation), mais parce
qu’ils veulent en finir avec la gestion catastrophique de l’Autorité
palestinienne.
On peut espérer d’ailleurs que le tremblement de terre du
25 janvier suscitera une recomposition de la vie politique palestinienne
permettant une stratégie plus efficace contre l’occupation.
Quelques remarques sur le Hamas lui-même sont aussi indispensables.
Cette organisation est incontestablement populaire, implantée en
Cisjordanie et à Gaza. Elle fait partie du paysage politique. Comme dans
beaucoup d’autres pays arabes, il est illusoire de penser pouvoir
avancer vers la démocratie en excluant les islamistes. Le Hamas dispose
de trois atouts majeurs auprès de la population : sa participation à la
résistance à l’occupation ; son réseau d’aide sociale ; le dévouement
incontestable de ses cadres.
Mais l’exercice du pouvoir sera un défi
redoutable. Rappelons, par ailleurs, que, sur le plan économique, le
Hamas se situe plutôt à droite de l’échiquier, favorable au
libéralisme ; et sur le plan des moeurs, il est extrêmement
conservateur, ce qui suscite de l’inquiétude, notamment chez une partie
des femmes.
Le Hamas est aussi une organisation qui sait être pragmatique : ainsi,
il avait refusé de participer aux précédentes élections de 1996, sous
prétexte qu’elles se déroulaient dans le cadre des accords d’Oslo ; il a
désormais modifié sa position, alors que les conditions n’ont pas
changé. Il a aussi su nouer des alliances avec des notables locaux très
respectés, accepter des chrétiens sur ses listes, gérer avec compétence
les municipalités qu’il a conquises, etc.
Il est difficile de savoir ce qui va se passer dans les mois à venir.
Pourtant, si la France a un rôle à jouer, c’est de rappeler que toute
solution du conflit passe par l’application des résolutions de l’ONU :
retrait total d’Israël de tous les territoires occupés en 1967, y
compris Jérusalem-Est ; création d’un Etat palestinien indépendant ;
droit d’Israël à la paix et à la sécurité.
Affirmer vouloir obtenir du
Hamas qu’il reconnaisse l’Etat d’Israël, conformément au droit
international, sans répéter dans le même temps que l’impasse actuelle
réside dans le refus permanent de cet Etat de mettre en oeuvre les
résolutions de l’ONU, ne ferait que confirmer que Paris renonce à tout
rôle indépendant au Proche-Orient.